mardi 12 fevrier 2019 par Partis Politiques

M. Babily Dembélé, le président du Congrès ivoirien pour le développement et la paix (Cidp) jette un regard sur l'actualité sociopolitique en Côte d'Ivoire. Entretien.

Le 26 janvier dernier, s'est tenu le 1er congrès ordinaire du Rhdp. Depuis cette date, les pro et anti Rhdp unifié se lancent des piques, notamment avec des dérives langagières. Qu'en dites-vous?

Ma position a toujours été celle de réconcilier, de faire en sorte que les Ivoiriens se retrouvent dans la paix et la sécurité. Qui dit houphouetisme, dit les enfants d'Houphouët-Boigny, et nous nous considérons tous comme fils d'Houphouët-Boigny. J'ai toujours dit qu'utiliser le nom de ce monsieur pour créer un parti politique, pour régler des litiges, Houphouët mérite mieux que cela. Dabs chacune de mes interventions, je dis que cela paraît être une escroquerie morale, dans la mesure où l'héritage n'appartient pas à un seul fils ou à un groupe de fils qui se réclament enfants d'Houphouët-Boigny. Je pense que c'est une injure très grave à la mémoire d'Houphouët-Boigny. A mon avis, le Rhdp ne doit pas exister. Vous avez vu le même slogan auquel le Rhdp nous a habitué, c'est-à-dire le Vivre ensemble. C'est encore le même vivre ensemble que nous revoyons dans le Rhdp. Mais ce slogan du Rdr n'a jamais été un slogan qui a été suivi d'effets.



Que voulez-vous dire concrètement?

Je veux dire que le Rdr n'a pas pu réconcilier les Ivoiriens, il n'a pas pu s'inscrire dans la ligne droite de la réconciliation et de la paix en Côte d'Ivoire. Ce parti n'a pas pu donner la sécurité aux Ivoiriens. Que ce soit la sécurité physique, alimentaire ou même sociale. Nous avons donc assisté à tout un échec au niveau du Rdr. Quels étaient les vrais motifs de ce changement? Était-ce pour dire que le Rdr a échoué, et que cette fois, ils ont décidé de parler d'Houphouët Boigny, comme cela les Ivoiriens vont se sentir concernés? Non, les Ivoiriens sont matures. Je pense qu'il faut éviter tout cela. La Côte d'Ivoire a besoin aujourd'hui d'une maman, d'un père. Quand l'enfant souffre, il pense à la maman ou au papa qui le console. La Côte d'Ivoire souffre énormément, donc nous n'avons plus besoin d?allumer le feu pour faire peur aux Ivoiriens. Je me situe dans cette position.



Quel est votre avis sur les injures qu'on constate depuis quelque temps, au niveau politique?

Je pense que c'est le recul de la démocratie, le fait de penser à soi et non à l'intérêt de la Côte d'Ivoire. Et nous sommes en Afrique, les injures ne sont pas africaines, ivoiriennes. A chacun de nous de se rappeler son éducation d'enfance, où on nous disait qu'il était interdit d'insulter. Quel est aujourd'hui cette mise en scène où je vois des femmes en première ligne, en train d'insulter. Je suis désolé de voir des femmes qui soient en première ligne pour injurier. C'est dommage! Je pense qu'il faut que ceux qui usent de la violence verbale, reviennent en arrière et baissent la garde pour l'amour de la Côte d'Ivoire, sinon nous sommes en train d'aller droit dans le mur, et cela n'arrange personne.



Après la séparation officielle entre Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, on vient d'assister au divorce entre le chef de l'État et le président de l'Assemblée nationale, Guillaume Soro, qui a été contraint de démissionner, le vendredi 8 février dernier. Assiste-on à une recomposition du microcosme politique ivoirien?

Tout à fait. Je pense que l'intention du Rdr a toujours été de diviser, de créer des ennuis au sein des partis politiques, et de s'accaparer du pouvoir. C'est malheureux et c'est dommage. Bédié, c'est mon patron, je crois que, sur le plan démocratique, il a pris une bonne décision. Parce que cela ne sert à rien de mettre tous les partis politiques dans un panier, et obliger les Ivoiriens à les suivre. C'est cet esprit que les gens voulaient donner. C'est-à-dire, regrouper tous les partis politiques au sein d'un seul mouvement, et demain, celui qui sort de ce mouvement dira qu'il a été désigné par les Ivoiriens, en majorité. Il n'y a pas d'élections, donc il n' y a pas démocratie. Je crois que Ouattara et Bédié ont intérêt à regarder la Côte d'Ivoire. Surtout qu'Alassane Ouattara est au pouvoir, aujourd'hui. Quand on est président, on garde le profil bas, on est rassembleur, on pose des conditions de réconciliation et de paix. Que lui-même s'engage véritablement dans la voie de la paix et de la réconciliation.



Que dites-vous de la démission de Guillaume Soro?

Si c'est une démission liée à une question de gouvernance, j'estime que Guillaume Soro devait rendre compte aux Ivoiriens, avant de partir. Il a quand même dirigé une Institution importante du pays, et il a été aussi à la tête d'une rébellion, et il est un sachant de la crise sociopolitique en Côte d'Ivoire. Mais si sa démission est une affaire de Rhdp, cela ne nous intéresse pas. Cela n'engage que lui.



Après sa démission, il a affirmé en substance, qu'il quitte le tabouret pour le fauteuil plus confortable. Un commentaire?

Comme tout Ivoirien, il a le droit d'avoir des ambitions politiques. Mais je pense qu'il devrait d'abord rendre compte aux Ivoiriens.



La libération sous conditions de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé par la Cpi, a marqué l'actualité. Pensez vous que cette libération pourra contribuer à ramener la paix en Côte d'Ivoire?

Je reste encore sur ma faim. Je ne suis pas juriste mais cela veut dire qu'ils ne sont pas encore libres parce qu'ils doivent encore répondre à des audiences. Je pense que cela n'est pas bon pour la Côte d'Ivoire, pour les Ivoiriens. Gbagbo se retrouve à Bruxelles, il ne peut pas rentrer dans son pays. Je pense que cela ne crée pas les conditions de la décrispation. Il fallait donc une réconciliation véritable si Gbagbo était sur place. Tant qu'il est de l'autre côté, je pense que la réconciliation se fera progressivement mais difficilement.



Quel commentaire faites-vous sur le retour d'exil au Ghana, récemment, de cadres et militants du Fpi?

Il ne faut pas oublier qu'ils sont restés en exil, 7 voire 8 ans. Ce sont des ranc?urs. Ils peuvent pardonner certes, mais ils ne peuvent pas oublier. Ce sont des blessures qui sont là. Ils arrivent en Côte d'Ivoire () ils n'ont plus de famille. Ils n'ont pratiquement plus de village, ils n'ont pas de quoi à manger, leur santé est précaire. Ils ne mènent plus une vie de bon citoyen, alors que l'essentiel n'est pas de revenir au pays. Le gouvernement doit les accompagner et les assister dès leur retour, trouver les moyens nécessaires au moins pour leur installation. Ceux qui occupaient des fonctions avant, qu'ils retournent à leurs postes. La Constitution interdit tout Ivoirien de contraindre un autre Ivoirien en exil. Donc, ce que le pouvoir fait n'est pas un geste honorable. C'est beaucoup plus une humiliation pour la Côte d'Ivoire. Les gens arrivent tout malheureux et donc ils sont dans leurs pays mais apparemment, ils sont dans la peur. La guerre a créé une psychose terrible au sein des Ivoiriens. Quand quelqu'un se lève aujourd'hui pour pouvoir protester, il est étouffé. Donc la Côte d'Ivoire n'est pas du tout un pays démocratique, un pays de paix, un pays réconcilié.



Dans la perspective des élections de 2020, le gouvernement a entamé des discussions avec la classe politique, pour la reforme de la Commission électorale indépendante (Cei). Votre parti n'y a pas été associé. Réaction?

Que notre parti y soit ou pas, pour nous, l'essentiel est qu'un consensus soit trouvé. Nous avons toujours combattu cette Cei, donc s'il y a un consensus, que la Cei a effectivement été refaite dans toutes ses dimensions, nous serons heureux. Nous ne savons pas pourquoi le gouvernement ne nous a pas invités. Ils ont certainement des personnes choisies, cela les engage. Nous ne nous en plaignons pas. Notre combat, c'est le combat pour la justice, la paix, la réconciliation. Si aujourd'hui ce gouvernement s'inscrit dans cette logique, il n'y a pas de raisons qu'on ne lui dise pas merci.



Vous n'êtes pas présents à ces discussions, mais si le Cidp devait faire des propositions pour cette reforme, quelles seraient-elles?

La proposition que nous allons faire, c'est d'abord de faire partir Youssouf Bakayoko (Président de la Cei; Ndlr), et que celui qui le remplacera soit démocratiquement élu et non désigné et nommé par le président de la République. Il faut présenter beaucoup de candidats à la tête de la Cei. Celui qui sera le meilleur, élu démocratiquement, va diriger cette Institution. L'autre aspect, c'est que tous les partis politiques prennent part à la gestion de cette Cei. Une fois que ces conditions sont remplies, nous n'avons plus de problèmes. Parce que la Cei a été un catalyseur de toutes les crises que nous avons connues en Côte d'Ivoire, notamment avec Youssouf Bakayoko qui, nous nous rappelons, est allé faire une déclaration forte au Golf Hôtel. Et cela a mis le feu au pays. Je pense que Youssouf Bakayoko, lui-même en bon musulman, doit prendre ses distances avec toutes ces crises dont il est pratiquement auteur.



Et si les résultats ne sont pas conformes à votre souhait, que feriez-vous?

Mais si jamais cette Cei est reformée autrement, qui ne convient pas au Cidp, nous leur dirons ce qu'il faut dire. Pour moi, une rencontre à la Primature pour parler de la Cei est une affaire nationale, qui se résout dans un cadre de dialogue national. On ne s'en plaint pas entre les 4 murs d'une Primature, d'une Présidence, d'un Ministère. Cela veut dire que ce sont eux qui ont nommé, et ils décideront de le faire partir quand ils le voudront. Je pense donc qu'il y a encore un peu de justice dans cette démarche. Nous les suivons de près, notre position reste la même. Nous n'avons jamais aimé la Cei, ni ceux qui sont derrière. Nous continuons de les combattre.



Entre la Plateforme en constitution de Bédié et le Rhdp d'Alassane Ouattara, où se situe le Cidp de Babily Dembélé?

Le Cidp même constitue une véritable force. Parce que, nous n'avons jamais été mêlés à quoi que ce soit. Ni à des coups d'État ni à une crise, encore moins à des détournements de fonds. Nous ne sommes, non plus, pas occupés par un poste où on nous a reproché des choses. Dans cette neutralité, nous avons les mains propres. Je pense que les Ivoiriens vont revendiquer le meilleur des Ivoiriens, le moment venu.



Justement, le samedi 2 février dernier, des hommes et des femmes réunis au sein d'une plateforme, ont réclamé votre candidature à la présidentielle de 2020, lors d'un meeting à Yopougon. Quelle est votre réponse?

Ce sont des Ivoiriens. J'ai appris qu'il y a plus de 300 structures de femmes leaders et d'hommes, qui se sont réunies, et qui ont parlé de paix et de réconciliation. Et dans la même lancée, ils ont demandé que Babily soit le leader qui construise la paix, le développement, en Côte d'Ivoire. Maintenant, que je sois candidat ou pas, les choses vont se dessiner plus tard. Moi je dis que la Côte d'Ivoire a besoin d'une mère et d'une père. Pour le moment, la Côte d'Ivoire est un pays totalement orphelin, dans la mesure où les gens ne pensent qu'à eux. Je pense beaucoup plus à la Côte d'Ivoire et aux Ivoiriens. Je vais certainement donner une réponse aux sollicitations qui sortent de partout. Je suis honoré mais, au-delà, il faut parler de la réconciliation et de la paix, et faire en sorte que la Côte d'Ivoire ne soit plus orpheline. Après, on verra le reste. Mais, je leur dis merci. Le moment venu, je donnerai une réponse à tout ce qu'ils ont demandé.



Au plan social, la situation est actuellement marquée par les grèves intempestives à l'école. Ne craignez-vous pas que tout cela entraîne une situation plus grave de blocage?

Nous sommes déjà dans une situation de blocage, de peur, d'angoisse. Cela veut dire que les gouvernants doivent accepter de s'asseoir pour un dialogue national. S'ils sont houphouetistes, il n'y a pas de raison qu'ils n'engagent pas un dialogue national, pour qu'on leur dise leurs forces et leurs faiblesses. Je crois qu'au sortir de là, chacun pourra dire librement, avoir contribué à une Côte d'Ivoire réconciliée. Des promesses et des engagements ont été faits mais non pas été tenus. Aujourd'hui, nous nous retrouvons dans les mêmes propos. Les enseignants et autres tirant les conséquences de toutes les promesses non tenues, prennent leurs distances et entrent en grève. Il faut négocier, dialoguer. La Côte d'Ivoire n'appartient à personne. Nous devons faire très attention parce que ce que nous avons connu par le passé, nous risquons de retomber irréversiblement dans la même crise.



Qu'est-ce qui vous faire dire cela?

Si vous regardez les scénarios de 1990, le même scénario de Guéi, de Gbagbo Laurent. Ils ne vont pas y échapper, s'ils ne se ressaisissent pas. Leur attitude ressemble aujourd'hui, à une provocation. Les Ivoiriens n'ont plus besoin de ceux qui se tapent la poitrine. D'aucuns pensent que quand on est dans une position de pouvoir, on a la main mise sur l'Armée. Il faut éviter. Chaque Ivoirien a un parent militaire, policier, un corps-habillé. La misère est complètement installée en Côte d'Ivoire. Donc quand vous provoquez, les gens vont se dire in fine, qu'ils préfèrent se donner à la mort que de rester dans cette misère.



Terminons par votre parti le Cidp. Que faites-vous exactement comme activités sur le terrain?

Le Cidp est un parti politique très sérieux parce que tous les responsables ont les mains propres. Ils ne se sont jamais impliqués dans des histoires de coup d'États, de rébellion. A partir de cela, que les Ivoiriens nous jugent. En ce qui concerne les activités sur le terrain, si nous n'étions pas présents, je pense que ces 300 leaders ne se seraient pas réunis la dernière fois, pour demander au président Babily Dembélé de présider les destinées de la Côte d'Ivoire en 2020. Je dis que c'est une manifestation matérielle qui dit que nous sommes très sérieux. Je vous rassure que nous sommes sur toute l'étendue du territoire ivoirien. Le message pour nous, c'est d'abord la Côte d'Ivoire avant les Ivoiriens. Une fois que nous plaçons les intérêts de la Côte d'Ivoire avant chacun des nôtres, vous allez voir que la Côte d'Ivoire se portera mieux. J'invite les Ivoiriens à cultiver la paix et l'amour.