vendredi 15 mai 2020 par Diasporas-News

Économie, Politique, vie personnelle, l'homme d'affaires gabonais décortique dans cet interview-vérité la gestion du coronavirus sur le continent et nous dresse le bilan alarmiste de son pays, le Gabon. En exil forcé à Abidjan, il ne se prive pas de dénoncer le présent sans futur auquel est condamné la jeunesse de son pays, et pointe du doigt le chaos qui règne au plus au sommet de l'État.

Diasporas-News : Avoir un patronyme aussi populaire que celui de Jean Ping, candidat malheureux à la présidentielle gabonaise de 2016, est-il facile à porter ?

Franck Ping : Ces quatre lettres sur lesquelles prend appui mon identité de père et de mari sont une transmission naturelle entre la somme des valeurs transmises par mes parents et ce que mon épouse et moi transmettrons à nos enfants.

Mon nom est mon héritage premier, je suis très fier de le porter, et par chacun de mes actes je tiens à l'honorer.

Chaque matin je me réveille avec pour dessein que mes accomplissements futurs soient un jour plus grands que l'écho que soulève mon nom de famille. Et je préfère que l'on se souvienne des combats que j'ai entrepris, pas nécessairement du nom auquel ces derniers seront rattachés.

D-N : Basé en Côte d'Ivoire depuis peu, quel est votre regard sur la situation politique et économique du Gabon ?

FP : Ces situations ne sont que les conséquences de l'état de santé général de mon pays. Nulle économie, nul système politique ne peuvent sainement prospérer lorsque l'État abdique et fuit toutes les responsabilités qui fondent sa légitimité et son pouvoir d'action. L'essence même de l'État, tiré du verbe stare en latin et signifiant être debout n'est pas vérifiée au Gabon.

Les institutions de mon pays sont bafouées par un régime illégitime qui depuis 2009 déserte le champ des missions régaliennes qui lui incombent. Le taux d'endettement s'établit à près de 60 % du PIB, l'économie est menottée aux fluctuations décroissantes du cours du pétrole, les politiques de diversification de ressources économiques sont un échec, le taux de chômage chez les jeunes s'élève à 35% selon l'organisation internationale du travail, et le seuil de pauvreté est quand à lui de 30 % en 2019 selon la banque mondiale. La situation économique du Gabon est en somme désastreuse.

La situation politique peut quant à elle être résumée en trois mots: Où est Ali?

D-N : Le président Ali Bongo, toujours diminué par la maladie, beaucoup de Gabonais voient en son fils Nourredin Bongo son successeur. Y croyez-vous pour la prochaine présidentielle de 2023 ?

FP : L'appareil d'État gabonais a pour unique dessein d'assurer l'intronisation de Nourredin lors de la présidentielle de 2023. Tout est grossièrement mis en ?uvre à cette fin, et la crise sanitaire que nous vivons au Gabon en est la parfaite illustration. L'incapacité avérée de son père d'assurer la bonne marche de notre pays a fait de lui la béquille du pouvoir en place jusqu'à la prochaine échéance électorale.

D-N : Etes-vous tenté par la politique comme votre Père ? Plusieurs Gabonais vous prêtent l'intention d'être également candidat à l'élection présidentielle de 2023 ?

FP : Jean Ping est mon père et dans nos veines coule un même sang. C'est le seul flambeau qui prévaut aujourd'hui.

L'idée de devoir lui succéder grâce à l'ADN qui nous lie, et non pas par mes idéaux et ma vision viendrait à imiter de facto le processus d'hérédité politique qui sévit au sommet de l'État, et que je dénonce vivement. J'accompagnerai chacun des combats de mon père car je suis son fils, mais je suis également un fils du Gabon, un fruit de cette terre. L'amour que je porte à mon pays et à ce peuple m'offre une tribune sur laquelle toute ma citoyenneté s'exprime naturellement. Penser, proposer, et dénoncer ne sont pas des attributs réservés aux seuls hommes politiques gabonais! Avant d'être un entrepreneur, je suis un citoyen! Nul article de loi ne peut contraindre l'expression de ce que je pense être juste pour mon pays, et nécessaire pour mon peuple. Il n'y a qu'une seule cause qui m'importe vraiment, celle de défendre l'intérêt général du peuple gabonais.

D-N : A bientôt 50 ans, vous êtes une référence dans le milieu des affaires. Comment en êtes vous arrivé là?

FP : J'ai toujours refusé de me limiter aux frontières de mon pays. La prise de risque et la persévérance étant de singuliers traits de ma personnalité, j'ai naturellement orienté mes activités en dehors de ma zone de confort. Je n'ai jamais été fonctionnaire de l'État gabonais, chose rare à cette époque, et j'ai dès le plus jeune âge construit ma voie en fonction de mon appétit entrepreneurial. De mes activités dans les télécoms à mes expériences dans le secteur bancaire, je n'ai eu de cesse de prouver à mon entourage qu'il m'était possible de réussir par mes propres moyens. Il y a cette citation de Guy Kawasaki qui résume bien l'homme que je suis, et ce vers quoi j'aspire quotidiennement : La meilleure raison pour lancer une entreprise est de créer un sens, de créer un produit ou un service qui contribue à améliorer le monde! . De nombreuses réalisations attestent partout en Afrique de ce dont je suis capable. Donner naissance à une entreprise est un fait, mais créer une entreprise dont le dessein contribue à améliorer le monde donne un réel sens à mon existence.

D-N : Le Coronavirus et ses dégâts collatéraux vous effraient t-ils ?

FP : C'est la plus redoutable crise que le monde ait traversé depuis la fin de Seconde Guerre mondiale. Tout ce que nous pensions invulnérable, incoercible et illimité a été brutalement ébranlé. La quasi-totalité des 195 nations que compte le monde se retrouve face à une pandémie que les scientifiques commencent tout juste à déchiffrer et dont le seul vaccin s'appelle pour l'instant: confinement. L'économie mondiale s'est arrêtée, les rues de la planète se sont vidées, les guerres et nombreux conflits que l'on croyait insolubles ont marqué le pas. Le covid-19 n'a pas rendu fiévreux que les hommes, il a fragilisé nos systèmes politiques et économiques à un tel niveau que seul un monde nouveau ne pourra poindre de tout cela. Ce monde de demain sera assis sur de nouvelles normes, de nouveaux équilibres et une manière de vivre, de consommer et de voyager bien différente. Il y a eu un après 11 septembre, il y aura un après covid-19 si et seulement si nous ne répétons pas les erreurs d'un passé encore tout proche.

D-N : L'impact de cette pandémie sur les économies africaines n'est-il pas à craindre ?

FP : Ce sont bien les rebonds et les conséquences du ralentissement de nos économies qui vont le plus durement affaiblir notre continent. Le confinement économique auquel nous contraint le Covid-19 agi déjà négativement sur la croissance et le développement. Constituée d'économies très hétérogènes, chaque zone monétaire risque de se concentrer sur ses propres difficultés. La Commission économique pour l'Afrique prévoit déjà que la croissance continentale chute de 3,2 % à 1,8 %. En outre, la propagation du virus dans le monde ne va cesser d'entrainer une diminution des flux d'IDE sur le continent, une fuite des capitaux, un resserrement du marché financier intérieur et un ralentissement des investissements - donc des pertes d'emplois par millions. Ces répercussions dans ces secteurs économiques clés vont nuire à la prospérité des populations et entraveront les efforts visant à atteindre le plan de développement continental. D'un point de vue macroéconomique, l'impact le plus dévastateur demeure la chute des exportations de matières premières à l'instar du pétrole dont 15 États sont extrêmement dépendants. Le rôle des banques centrales va être majeur face à la crise. Elles vont devoir soutenir en liquidités les établissements financiers bancaires et non bancaires afin que ces derniers continuent à prêter aux petites et moyennes entreprises. Je pense à ce titre que le soutien à la consommation est vital. Nos dirigeants doivent adopter une politique monétaire et budgétaire à la hauteur de la situation, et ce afin de maintenir à flot les entreprises, et donc de limiter au maximum les destructions d'emploi.

D-N : De façon globale, comment jugez-vous les attitudes des pays africains dans la lutte contre le Coronavirus ?

FP : 53 des 54 États qui composent notre continent sont touchés par le coronavirus. Les gouvernements africains dans leur grande majorité n'ont pas tout de suite pris la mesure de la situation. Nous devions tirer des enseignements de la brave politique de santé publique chinoise qui face au Covid-19 a confiné la province de Hubei et ses 60 millions d'habitants. Cela aurait dû nous alerter sur la gravité de la situation! Nos dirigeants pensaient-t-ils que l'application des gestes barrières dictés par L'OMS pouvaient à eux-seuls préserver notre continent? Je suis convaincu que nous avions une marge qui nous permettait de nous épargner du coronavirus; et à ce titre je n'ai cessé de répéter que la fermeture de nos frontières s'imposait comme unique remède. En outre, le délitement de l'appareil de santé public de nombreux États africains nous obligeait à considérer plus sérieusement qu'ailleurs cette menace. Néanmoins, certains pays ont rattrapé ce retard à l'allumage en adoptant des politiques de confinement intelligentes, car réalistes et adaptées à la situation économique et de leurs populations. L'état social dont je ne cesserai jamais de prôner les vertus est la solution qui prévaut face aux maux du continent. Ses attributs ce sont en très large partie révélés au Sénégal et au Ghana qui ont consenti à de conséquents sacrifices économiques en faveur des peuples. Je considère que tous les gouvernements africains doivent suivre ces exemples et se mettre au chevet de leurs populations.

D-N : Dans un élan de solidarité, votre Fondation Ping vient de faire des dons alimentaires aux religieux gabonais. D'autres actions de ce type sont-elles prévues ?

FP : Nous avons organisé sous l'égide de mon frère Jean-François plusieurs distributions de dons (kits alimentaires et sanitaires, masques, produits de première nécessité) durant les mois de mars, d'avril et de mai. Le rôle de la fondation Ping est de mobiliser toutes les ressources possibles afin que le quotidien des plus nécessiteux soit plus supportable en ces temps difficiles. Dans un futur très proche nous prévoyons d'élargir ces missions sociales sur toute l'étendue du territoire gabonais.

Marie Inès BIBANG