mercredi 26 aout 2020 par Partis Politiques

Guillaume Soro, exclu de la liste pour le scrutin présidentiel du 31 octobre en Côte d'Ivoire, en appelle à Emmanuel Macron afin qu'il prenne position contre Alassane Ouattara, le président sortant qui brigue un troisième mandat alors que la constitution ivoirienne limite à deux le nombre de mandats.

L'ancien Premier ministre de la Côte d'Ivoire Guillaume Soro, dans une lettre ouverte que publie le JDD, en appelle à Emmanuel Macron avant la tenue d'un scrutin présidentiel tendu dans son pays. Exclu de la liste pour le scrutin présidentiel d'octobre, il s'était déjà insurgé, le 9 août dans nos colonnes, contre la candidature du président sortant, Alassane Ouattara. "J'ai la dictature contre moi mais le droit avec moi", déclarait-il. La Côte d'Ivoire "est prise dans un tourbillon qui fait valser les libertes fondamentales et demantèle l'Etat de droit", s'alarme-t-il aujourd'hui. Voici sa lettre ouverte au président français :

Lettre ouverte au president de la Republique française, au representant de la patrie des droits de l'homme et des citoyens

Monsieur le president de la Republique,

Permettez-moi de vous ecrire, comme tout homme epris de liberte sait pouvoir le faire, quel que soit son nom ou son origine. Permettez-moi de m'adresser au representant d'une Nation qui a place la grandeur au c?ur de son Histoire et dont la Lumière eclaire le monde depuis si longtemps. Permettez-moi de vous parler au nom de tous ceux qui croient que la democratie est le seul avenir possible pour le continent africain, comme pour tous les autres, et qui n'hesitent plus à pourfendre les crimes commis contre la juste expression d'un suffrage populaire.

Je suis le petit-fils de Sekongo Kadioyaha, ancien des troupes coloniales ayant fièrement servi comme tirailleur, au cours de la Deuxième guerre mondiale, pour vaincre les nazis. Je suis le neveu de Yeo Nanienehorona Adama, mobilise lors de cette même guerre et qui, ayant participe à toutes les campagnes militaires françaises, fut decore de la Legion d'honneur des mains du president Jacques Chirac. Ils se sont battus avec dignite et honneur pour la France, ce grand pays de la liberte et des droits de l'Homme : ils etaient si fiers d'avoir pris part à ce combat contre des forces farouchement opposees à la democratie. Ils ont tant marque mon enfance, ma jeunesse et ils m'ont tant inspire par leur experience et par leur sagesse.

La Constitution, socle de notre edifice republicain, est en train d'être demolie
Dans mes mots, ils sont toujours presents, et c'est aussi en leur nom que je m'adresse à vous aujourd'hui, Monsieur le president. Avec humilite et avec gravite. Avec simplicite, aussi. Je veux vous parler de la Côte d'Ivoire, un pays que j'aime par-dessus tout et que j'ai eu l'honneur de servir comme Premier ministre et comme president de l'Assemblee nationale.

Le pays est pris dans un tourbillon qui fait valser les libertes fondamentales et demantèle l'Etat de droit et met à mal une democratie que beaucoup prenaient en exemple. La Constitution, socle de notre edifice republicain, est en train d'être demolie. Aucune femme, aucun homme de bonne volonte, aucun democrate au monde ne saurait se resigner face à ce crime commis sous nos yeux contre l'un des pays les plus importants et les plus stables d'Afrique. Et que dire de ces milices du pouvoir qui attaquent desormais les manifestants pacifiques à coups de de gourdins et de machettes sous les yeux complices de la police, que dire de ces femmes humiliees et violentees, que dire des manifestations desormais interdites, que dire de toutes ces exactions largement denoncees par Amnesty International et par tant d'autres ONG?

Vous vous êtes rendu recemment en Côte d'Ivoire mais êtes-vous vraiment informe de ce qui est en train de se jouer?

Le 22 decembre 2019, jour de votre anniversaire, par un hasard du calendrier, vous vous trouviez en visite officielle à Adidjan et le gratin du pouvoir ivoirien, en bout de course, profitait de cette aubaine pour se reunir autour de vous, en vous aidant, dans un etrange symbole, à souffler sur le gâteau. Le vice-president de la Republique avait endosse la posture du maitre de ch?ur pour entonner un Joyeux anniversaire , repris à l'unisson par tous les membres du gouvernement presents à ses côtes. Depitee, l'opinion ivoirienne trouva egalement de bien mauvais goût le dandinement pathetique d'un president de 75 ans sur une piste de danse, tentant de vous amadouer en cette circonstance qu'il pensait propice, alors que la situation sociale du pays est si preoccupante.

Nous sommes des millions et des millions. Nous avons tendu l'oreille. Nous n'avons entendu que le silence de la France.
Horrifies, les Ivoiriens assistèrent, quelques heures à peine après votre depart du pays, à une vague de repression inedite et brutale contre l'opposition, visant plus particulièrement les militants et les dirigeants du mouvement Generations et Peuples Solidaires (qui compte plusieurs millions de membres), qui se trouvèrent battus et emprisonnes arbitrairement. Moi-même, president de ce Mouvement, j'etais traque et interdit de sejour en Côte d'Ivoire, mon pays, sous un pretexte fallacieux et reconnu comme tel (à l'unanimite des juges) par la Cour africaine des droits de l'Homme .

Nous sommes des millions et des millions. Nous avons tendu l'oreille. Nous n'avons entendu que le silence de la France, chère patrie des droits de l'Homme. Un silence assourdissant.

Quand le Chef de l'Etat ivoirien sortant, M. Ouattara, sous pression, fit une annonce tonitruante indiquant qu'il ne briguerait pas un troisième mandat, comme si ce retrait faisait de lui un grand democrate (alors que ce nouveau mandat le conduirait tout simplement à violer la Constitution!), vous avez cru devoir le feliciter en le qualifiant "d'homme de parole et d'homme d'Etat", en saluant "sa decision historique". Monsieur le president de la Republique, j'imagine que vous êtes informe du revirement de M. Ouattara qui, le 6 août dernier, a annonce qu'il briguerait finalement ce troisième mandat usurpatoire, en violation de la Constitution et en violation du serment qu'il avait fait devant la Nation. Monsieur le president de la Republique, puisque, en vous exprimant une première fois, vous êtes desormais partie-prenante dans le debat politique ivoirien, votre silence face à la forfaiture qui se dessine serait incomprehensible et totalement incompris. Pire, aux yeux de beaucoup, il vaudrait complicite. Et ce n'est pas seulement la Côte d'Ivoire qui se trouverait bafouee, mais l'Afrique tout entière, celle dont la jeunesse a plus que jamais soif de democratie et aspire à ce changement que vous avez si bien su incarner en France!

Votre reaction, Monsieur le president de la Republique, determinera une partie du regard que la jeune generation d'Africains portera sur la France et les valeurs dont elle se reclame. La patrie de Voltaire, de Hugo, de Sch?lcher, de Clemenceau, de Jaurès, de Mendès-France, du general de Gaulle, et de tant d'autres, est-elle toujours du côte de la democratie et de la liberte?

La France ne peut pas aller dans le sens de ceux qui pietinent les libertes fondamentales d'un pays

Je ne demande rien pour moi-même : seulement des elections honnêtes et justes dans lesquelles chaque candidat pourra se presenter librement, pour que le peuple puisse voter librement. En Côte d'Ivoire, après 60 ans d'Independance, la population n'acceptera pas l'emergence d'un pouvoir use qui cherche à se maintenir à tout prix à la tête de l'Etat, en ecartant arbitrairement du jeu democratique tous ceux qui, constitutionnellement, sont en droit de solliciter le suffrage populaire. Monsieur

Ouattara, le seul qui n'y est pas autorise par la Constitution, pourrait donc se faire adouber à travers une pseudo-election d'un autre âge? Qui pourrait accepter cela?

L'Afrique croit en la France en tant qu'elle est le pays de la democratie et des libertes, aujourd'hui comme hier. Votre parole est forte. Elle est attendue, en Côte d'Ivoire et bien au-delà de la Côte d'Ivoire. La France ne peut pas aller dans le sens de ceux qui pietinent les libertes fondamentales d'un pays : c'est ma conviction absolue et c'est aussi l'espoir de millions de femmes et d'hommes qui croient en la democratie.

Dans cette attente, recevez ma très respectueuse consideration.

Guillaume Kigbafori Soro ,Depute
President de Generations et peuples Solidaires
Ancien Premier ministre de Côte d'Ivoire
Candidat à l'election presidentielle d'octobre 2020