mardi 13 juillet 2021 par AIP

Aboisso -Après quelques minutes de navigation à bord d'un bateau de fortune, voici sur un lopin de terre ferme coincé entre la lagune Aby et la mer. Ici, c'est Assinie bien connue pour ses plages qui rivalisent avec celles de papette en Polynésie française ou encore la playa del almor au Mexique,ou encore Whitehaven beach, en Australie avec ses hôtels de luxe, d'un luxe souvent époustouflant. Il fait bon vivre à Assinie.

Et pourtant juste à côté, des populations sont en détresse, elles ont le sommeil trouble, leurs nuits sont cauchemardesques. Sur ce lopin de terre dont la distance entre la mer et la lagune peut être évaluée entre 200 et 250 mètres, vivent des populations. Assouindé, Ebotiahon, Babianiha, Mandjian, quatre villages, une angoisse commune, tous coincés entre deux eaux, la lagune mais surtout la mer qui avance, avance et avance depuis des années. Incursion dans ces quatre village otages de la mer et de la lagune à Assinie-Mafia.

J'ai peur quand je dors la nuit je ne sais pas à quel moment la mer viendra nous prendre moi et mes enfants . L'autre jour quand les vagues ont commencé à frapper la maison, nous avons fuis, nous sommes allés dormir dans la cuisine de l'autre côté lâche Essouman Kouassi Jean, chef de la communauté ghanéenne à Ebotiahon. Le chef du village de la localité Gnoan Amichia, la voix nouée par l'angoisse se lance dans une description des ?uvres macabres de la mer qui a détruit habitations, hôtels, restaurant et même installations électriques.

Léticia N'diamoi elle a fini par se familiariser avec le danger. Quand la mer se lève, les vagues passent dans la cour ici pour aller à la lagune. On a peur mais on fait avec dit-elle avec un brin de sourire qui frise le résignement.

La mer avance à grands pas à Assinie

Tristesse, peur, angoisse, se lisent sur le visages d'une septuagénaire, chef de village et ses notables , réunis sous un hangar. nanan Foulé Soma d'Assouindé, l'une des rares femmes chef de village dans la région, laisse à son secrétaire général, Edourd Aka, le soin de présenter la désolation que vivent les populations d'Assouindé village ayant abrité naguère la SIETHO et la VALTOUR deux grands réceptifs hôteliers de renom qui ont donné à Assouindé ses lettres de noblesse. Aujourd'hui ces édifices sont en ruine et les vestiges seront bientôt propriété de dame mer qui pour répondre aux provocations constantes du réchauffement climatique ravage tout sur son chemin en élargissant son domaine.

On a peur, la mère nous menace . C'est par ces mots qu'Edouard donne le ton. Il nous conduit ensuite sur les ruines d'un hôtel dont le propriétaire avait pourtant pris soin de mettre des poteaux de plus de quatre mètres de profondeur, mais rien n'y fit, la mer a tout détruit.

Ici il y avait des maisons, des cocotiers, en ce moment la mer était encore loin la bas. Il nous indique un endroit d'une distance de 200 mètres environ. Mais la mer à tout détruit. On n'y peut rien. Il nous montre des sacs de sable enfouis dans le sable servant à protéger les maisons de la furie des vagues en période de marée haute. Le mois d'août approche, c'est le mois de tous les dangers, la marée est très haute. s'inquiète Edouard.

Les quelques maisons qui ont la chance de résister encore portent déjà les marques de la mer, des murs lézardés, qui bientôt vont céder sous la puissance des vagues.

Le village de Babaniaha n'est pas plus chanceux que les autres. Ici pas d'école, pas de dispensaire car plus d'espace. Ces deux infrastructures se trouvent derrière la lagune Aby, sur la route d'Assinie-Mafia dans ce qu'il est convenu d'appeler la forêt classée de N'gandan N'gandan dont quelques milliers de kilomètres se trouvent dans la commune d'Assinie. Les élèves traversent donc tous les matins la lagune pour se rendre à l'école, loin des parents avec tous les dangers que cela comporte. Trois enfants ont été tués sur la route d'Assinie par des automobilistes. Nous lançons un appel aux bonnes volontés afin de nous aider à construire des dos d'âne , fait savoir, d'un visage triste, le porte-parole du chef du village de Babianiha, Enoh Jean. Les menaces de chavirement des pirogues, c'est le quotidien de ces enfants qui, pour rien au monde, ne veulent manquer l'instruction, apprend-on.

Mon fils a failli se suicider quand la mer a cassé et englouti son maquis-bar et restaurant , lâche une soixantenaire à Babianiha, évitant de justesse une larme.

Pour se défendre contre la puissance des vagues, des moyens rudimentaires, des sacs de sable entreposés derrière ou devant les habitations, les hôtels et restaurants. Mais rien n'y fit, la mer a toujours gagné le combat, nous indique un habitant du village d'Ebotiahon. C'est d'ailleurs le dénominateur commun de tous ces villages menacés.

Les activités économiques sont fortement impactées par l'érosion côtière. La pêche, raison d'être de ses populations ne nourrit plus son homme. Hotels, bars et restaurent ferment. Le tourisme recule. Le manque à gagner est incalculable. La détresse est grande, le danger permanent sur ce littoral.

Ici on ne peut pas vous montrer de vestiges de ce que la mer a fait car elle a tout englouti répond amer, le chef du village de Mandjian, Nanan Anoh Nestor. Nous sommes à moins de 10 mètres la mer alors qu'il y a quelques années on pouvait parcourir plus de 80 mètres avant d'atteindre la mer. ajoute l'homme visiblement agacé par le danger permanent que vivent ses populations.

Face à cette situation, les populations des quatre villages proposent le déclassement d'une partie de la forêt classée de N'gandan N'gandan et leur relocalisation à cet endroit habitée naguère par leurs parents avant le classement de cette forêt en 1978.

C'est l'homme qui classe, c'est aussi l'homme qui déclasse. Nous demandons à l'Etat de Côte d'Ivoire de nous aider., plaide Nanan Anoh.

Cette solution est la seule préconisée par les chefs des quatre villages d'Assouindé, Ebotiahon, Babianiha, Mandjian. Il faut faire vite, il faut agir avant que la catastrophe n'arrive tel est leitmotiv des habitants de ces villages.

Ces populations ont encore en mémoire 1942 année pendant laquelle Assinie-Mafia a été engloutie par les eaux. Ce scénario catastrophe, ils ne souhaitent plus le revivre d'où leur plaidoyer auprès de l'Etat de Côte d'Ivoire afin qu'il déclasse une partie de cette forêt pour leur habitation avant qu'il ne soit trop tard.

Quand la pirogue à moteur démarre, pour le retour, un brin d'espoir se lit sur les visages, leur cause sera certainement entendue.

L'embouchure située à quelques encablures d'Assinie France, lieu de rencontre de la mer et de la lagune avec ses vagues d'une puissance indescriptible offre une image du danger qui plane sur ces villages si jamais ces deux eaux arrivaient à s'y rencontrer.

A Assinie village, le danger s'appelle érosion de la façade lagunaire. Là Aussi des habitations, des hôtels sont pratiquement dans les eaux. Cette situation s'explique par la destruction constante de la mangrove pour cause d'urbanisme fait savoir le Lt Mensah Vincent chef du poste des eaux et forêts d'Assinie Mafia.

A cette cause il faut ajouter les dragues constamment utilisées pour ressortir le sable de la lagune.

Le directeur régional (DR) du Ministère de l'environnement et du Développement durable dans le Sud-Comoé, Léonard Yao N'goran, a expliqué que l'érosion côtière phénomène commun à tous pays côtiers est complexe. Il s'explique par les changements climatiques qui provoquent la force des glaciers et l'évolution du niveau d'eau de la mer. Ce phénomène de grande envergure cause d'énormes dégâts fait savoir le DR.

Cependant Il garde espoir que le Gouvernement pourra trouver une solution à travers le programme national de gestion de la zone côtière. Il a également évoqué le WACA un programme d'aménagement et de gestion du littoral en Afrique de l'ouest avec à l'intérieur le projet PAGIL (Plan d'​Aménagement de Gestion Intégrée du littoral ivoirien) qui verra bientôt la construction de digues entre autres pour la protection des villages du littoral.

Selon lui, il faut garder espoir car l'idéal c'est que les populations ne soient pas relocalisées. Pour M. N'goran, la relocalisation est la solution extrême.

Un ressortissant italien propriétaire d'un restaurant à Assouindé, Antonio, montre des photos de centaines de sacs entreposés pour se défendre contre la mer en période de marée haute et estime que le Gouvernement pourrait gagner non seulement la bataille contre la mer à travers le projet WACA paix pourrait aussi travailler à la valorisation du littoral.

Pendant ce temps l'inquiétude grandit, les populations sont en détresse face à la colère des eaux à Assinie. Au total 14 villages sur les 16 qui composent la commune sont dans cette situation. Tous ont le regard tourné vers la forêt classée de N'gandan N'gandan et son propriétaire l'Etat de Côte d'Ivoire.

Pourtant cette forêt est protégée par la Convention de Ramsar, officiellement Convention relative aux zones humides d'importance internationale particulièrement comme habitats des oiseaux d'eau, aussi couramment appelée convention sur les zones humides qui est un traité international adopté le 2 février 1971 pour la conservation et l'utilisation durable des zone humide , qui vise à enrayer leur dégradation ou disparition, aujourd'hui et demain, en reconnaissant leurs fonctions écologiques ainsi que leur valeur économique, culturelle, scientifique et récréative sous la désignation de site Ramsar. L'idée de cette convention a émergé lors de la Conférence internationale du programme MAR (pour Maris, marshes, marismas) qui s'est tenue aux saintes-maries-de -la mer en 1962, à l'initiative de l'UICN et de deux ONG (Weststand international et Birdlife international), toutes trois devenues partenaires de l'UNESCO.

Pour l'heure, quand la nuit tombe sur Assinie, les angoisses renaissent.

Réalisé par AHOULOU KONAN NOEL CBR Aboisso