samedi 24 septembre 2022 par AIP

Abidjan, Des bagagistes ou petits commerçants de sachets plastiques, de légumes ou d"eau minérale envahissent quotidiennement les marchés d"Abidjan. Ils sont en général des enfants, filles comme garçons, dont l"àge varie entre six et 16 ans. Il se sont soustraits ainsi de la mesure de l"école obligatoire prise en 2015 par le gouvernement ivoirien, et justifient pour la majorité, leur situation par l'insuffisance de moyens financiers et le manque d"intérêt pour l"école.

Djénébou Keita n"a jamais mis les pieds dans une école, faute de moyens financiers. Mon pà¨re dit qu"il n"a pas d"argent , dit-elle, avouant pourtant qu'elle aurait aimé y aller, tout comme ses camarades avec lesquelles elle vend des emballages au marché d"Adjamé. En plus des sachets plastiques, elle se propose de porter également les emplettes des femmes qu"elle accoste au marché, à  longueur de journée, parfois, dà¨s 6H30 minutes.

Un morceau de pagne noué à  la taille, sur un tee-shirt, la tête couverte d"un foulard et son sac mis en bandoulià¨re, elle entonne inlassablement ses rengaines: tantie je peux t"aider à  faire le marché , tantie je peux prendre bagages ou encore tantie tu donnes ce que tu as . Djénébou sillonne le grand marché d"Adjamé, passant du "Forum" au "Marché Gouro". En fin de journée, l'adolescente gagne entre 2000 et 3000 FCFA. Elle dit partager sa recette avec sa mà¨re qui se charge aussi d"épargner son argent. Ses ambitions, Djénébou n"en sait rien car pour le moment, elle se contente de vendre ses sachets plastiques au marché. Veut-elle apprendre un métier ? Elle n"en sait rien non plus.

Quid de la politique de scolarisation obligatoire pour les "6 - 16" ans en Câte d'Ivoire?

L"école est pourtant obligatoire en Câte d"Ivoire pour tous les enfants de six à  16 ans, depuis 2015. La politique de scolarisation obligatoire (PSO) vise à  donner à  toutes les filles et à  tous les fils du pays, le droit à  l"éducation, à  une formation de qualité. Cette mesure oblige ainsi, dans le principe, tous les parents à  scolariser leurs enfants. Mais certains n"arrivent pas à  s"inscrire dans cette politique, faute de moyens financiers, comme l"a évoqué Djénebou, 13 ans.

Pareille pour Aà¯cha Sylla, 12 ans, vendeuse de tomates au grand marché d"Adjamé.  Tout à  500 , crie-t-elle à  tue-tête, une assiette de tomates sur sa tête. Elle aussi, en ce jour d"école, n"est pas en classe. Les raisons, elle hausse l"épaule et dit que cela dépend de son pà¨re. On la chahute et la menace de l"amener de force à  l"école, elle répond qu"elle n"est pas seule. On n"est beaucoup ici, j"ai des amies qui vont à  l"école mais moi non, mon papa dit qu"il n"a pas d"argent.

Awa Cissoko, pré-adolescente de huit ans, répond que l"école ne l"intéresse pas, la mine dédaigneuse. Elle ne veut pas y aller, son pà¨re aussi n"en voit pas l"utilité. Selon elle, il prévoit de l"inscrire à  l"école coranique, mais en attendant, elle vend tantât de l"eau, tantât des sachets plastiques au marché.

Des enfants d"expatriés sont également trà¨s actifs dans le petit commerce. Le petit Hamed-Hamed (il insiste qu"il s"appelle ainsi), neuf ans, dans un Français approximatif, raconte qu"il attend son pà¨re qui doit rentrer du Burkina Faso pour le scolariser ou bien il va rentrer au pays pour aller à  l"école. Il vend depuis un an au marché. Avec sa recette qui se situe entre de 500 et 1000 FCFA par jour, il achà¨te de quoi se nourrir à  midi et regagne le domicile familial avec les sous qui lui restent. Parfois, il bénéficie de la gentillesse de certaines commerçantes qui lui offrent de la nourriture.

Fathia, une jeune Nigériane, a eu la possibilité d"aller à  l"école mais elle a refusé. Je veux gagner de l"argent , avoue-t-elle, servant un paquet de pinces à  linge à  une cliente.

Dame Maryam Konaté qui la connait bien depuis son arrivée en Câte d"Ivoire confirme ses dires. Elle ne veut pas aller à  l"école. Ils sont beaucoup comme ça sur le marché. Ils n"aiment pas l"école, surtout les Nigérianes, elles n"aiment pas l"école, mais l"argent , ironise-t-elle.

Certains ont abandonné les classes par appàt du gain. Aà¯cha Sylla, 12 ans, a été à  l"école jusqu"au CP2 et a abandonné les bancs. Elle relà¨ve dans un premier temps que le manque de moyens financiers de son pà¨re l"a empêché de continuer, mais souligne avec un brin de gêne qu"elle est un peu à  la base de sa déscolarisation. En fait, elle avoue avoir pris goàt aux petits commerces qu"elle exerçait durant les vacances scolaires et elle n"a plus voulu reprendre le chemin des classes. Quand on lui demande si elle veut retourner à  l"école, hésitante, elle répond je ne sais pas ! .

Cet univers de petits commerçants n"est pas réservé qu"aux fillettes. Des adolescents àgés entre 12 et 16 ans servent de bagagistes avec des brouettes. A l"aide de leur engin qu"ils stationnent en majorité sur le terre-plein du boulevard Nangui Abrogoua, ils attendent leurs clients. En général, il s"agit des commerçantes du marché ou de clients semi-grossistes qui viennent s"approvisionner auprà¨s des grossistes. Les prix qu"ils pratiquent varient selon la charge et la distance parcourue.

Ibrahima loue sa brouette avec un concessionnaire à  la fin de la journée il lui reverse une certaine somme, qu"il refuse de relever, et repart à  la maison avec une recette de 2000 à  3000 FCFA. Il n"a pas été scolarisé mais voudrait bien apprendre en métier, même s"il ambitionne d"épargner assez d"argent pour avoir son permis de conduire et se lancer dans le transport.

Des mesures gouvernementales pour ne laisser personne de câté

Le gouvernement prévoit des classes passerelles qui offrent aux enfants non scolarisés àgés de neuf à  13 ans, y compris ceux qui travaillent, une seconde chance d"intégrer, ou de réintégrer le systà¨me scolaire formel.

Les bénéficiaires participent à  un programme d"apprentissage accéléré de neuf mois, au cours duquel ils apprennent la lecture, les mathématiques et d"autres matià¨res adéquates pour les amener au niveau académique souhaité. é la fin du programme, les enfants peuvent, en fonction de leurs résultats aux tests, entrer en troisià¨me, quatrià¨me ou cinquià¨me année, dans le systà¨me scolaire primaire public.

Le gouvernement a également initié l"Ecole de la deuxià¨me chance (E2C), un programme développé pour résorber ce groupe de personnes sans emploi ou mal insérées. Il s"agit d"un programme de formation de masse qui donne prioritairement aux bénéficiaires, l"opportunité d"acquérir des compétences professionnelles et, si nécessaire, d"être accompagnés dans un projet d"insertion.

Ce programme vise à  l"horizon 2030, à  traiter un stock d"un million de personnes sans emploi ou mal insérés, avec un objectif intermédiaire de 400 000 jeunes à  insérer, dans le cadre de la mise en Åuvre du Programme social du gouvernement (PSGouv 2), sur la période 2021-2024.

Fort heureusement, certains enfants se transforment en petit commerçants ou bagagistes juste le temps des vacances ou durant leurs heures creuses.

Junior Esmel aide sa mà¨re à  vendre les colliers qu"elle confectionne. En classe de CM2, il devient durant le week-end et les vacances scolaires, un petit vendeur, depuis la classe de CE2. Rokia Konaté, élà¨ve en classe de Terminale, s"adonne à  la vente de sachets plastiques et autres sacs d"emplettes, juste pour aider ses parents à  assurer sa scolarité et payer elle-même certains frais d"écolage.

Tous les deux sont unanimes qu'il n"est pas facile d"allier école et petits commerces, et s"accordent à  dire: pour notre avenir, l"école est mieux .

(AIP)

tad/cmas

www.225.ci - A propos - Plan du site - Questions / Réponses © 2023