mardi 10 août 2010 par Le Mandat

Dr. Joseph Martial Ahipeaud est le premier secrétaire général de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire. Dans cette interview qu'il a accordé à ?'Le Mandat'', face aux résultats scolaires et estudiantins catastrophiques, il revient sur les véritables raisons qui ont suscité la création de cette fédération, les vrais financiers, le bilan, l'origine de la violence, son jugement sur les différents secrétaires généraux qui se sont succédé à la tête de la Fesci (Première partie).

Le nom du Dr. Martial Ahipeaud rime avec la Fesci. En tant que premier Secrétaire général de ce mouvement, quel bilan faites-vous en tant que membre fondateur ?

Cela dépend. Parce que nous, en tant que membre fondateur, nous avions en son temps des idéaux, une vision de notre pays, de la démocratie. En son temps, nous avions fait ce que nous pouvions faire. Ce n'était pas facile. Car il fallait mettre en place une pratique et avoir des références pour nous en inspirer. Nous n'en avions pas. Ce que nous avons fait, c'était de donner une idée de ce que pouvait être un syndicat libre et indépendant et comment il pouvait implanter son combat et avoir des acquis. Nous avons fait donc le maximum de ce qu'on pouvait faire. Les autres ont continué. Soro Guillaume par exemple, a effectivement mené le combat de la légalisation qu'il a gagné. C'était vraiment important. Je pense que ceux qui gèrent la Fesci aujourd'hui savent leur propre bilan. Mais je ne crois pas que ce bilan soit assez reluisant.

La Fesci à l'origine était-elle proche de l'opposition ?
Nous avons eu une plate-forme commune de revendication. De la création de la Fesci jusqu'en 1997, nous avons été traité comme une organisation Alors que depuis 1990, nous devions être traités comme une association ou comme un syndicat libre. Le problème est qu'à cette époque, le parti unique et le Pdci en particulier n'arrivaient pas à adapter sa pratique au contexte du multipartisme. Ce qui faisait que la Fesci se rapprochait des partis de l'opposition qui luttaient contre le fait que le Pdci s'accapare les choix politiques tout seul. Donc, c'est cette connexion des points de vue qui a conduit le syndicat à s'acoquiner, d'une manière ou d'une autre, avec les partis de l'opposition. Sinon, si vous demandez au président Gbagbo et à tous les responsables de ces partis politiques de l'opposition de cette époque, ils vous diront que nous avions une direction absolument autonome. Nous décidions de ce que nous avions comme agenda et nous l'appliquions. Souvent dans 95% des cas, c'est l'opposition qui était obligée de nous suivre parce que nous étions en avant par rapport à nos revendications. Nous étions aussi très spontanés. Donc, notons que la proximité avec l'opposition s'explique par le fait que nous avons eu un même combat sur la revendication démocratique.

Et pourtant l'on affirmait que vous étiez financé par le Fpi ?
Nous n'avons jamais été financés par le Fpi. En tant qu'institution, nous avons reçu beaucoup de soutien du Synares qui était un syndicat comme nous et de ceux qu'on appelait les démocrates, c'est-à-dire ceux qui aspiraient à un changement démocratique et à la liberté dans ce pays, qui venait de l'ensemble de la classe politique ivoirienne. On avait en son temps des réformateurs qui venaient du Pdci et des gens de l'opposition. Ce n'était pas des sommes colossales. C'était juste quelques moyens pour se déplacer. Cela n'a rien à avoir avec ce que nous constatons aujourd'hui.

Vous avez parlé d'idéaux au départ. Lesquels ?
C'était simple. Lorsqu'il y a eu la grève en 1990, ce qu'on a constaté, c'est que le leadership du Meeci n'avait pas pu traduire les aspirations des étudiants. Donc nous en tant que nouveau syndicat, c'était de faire passer les idées et les revendications des étudiants pour que le pouvoir travaille en fonction des réalités du terrain. Et à plusieurs reprises, lorsque nous avons été interpellés et que nous avons interpellé le pouvoir et que nous avons trouvé des terrains d'entente, il n'y a pas eu de débordement. Donc, notre aspiration fondamentale était l'amélioration des conditions de travail des étudiants, et bien entendu, dans un contexte mondial marqué par le vent de l'Est pour nous aussi, c'était pour nous éventuellement, le temps de la revendication de la démocratie et de la liberté.

La Fesci a pourtant été dissoute ?
Je ne peux pas dire qu'elle a été dissoute. Du point de vue de la procédure, pour qu'une organisation soit dissoute, il faut notifier cette dissolution à ladite organisation. Ce qui n'a pas été le cas. Ce qui a fait qu'il y a eu un quiproquo entre nous et le gouvernement. Parce qu'en 1991, prenant prétexte de l'assassinat de notre ami Zébié, le gouvernement Ouattara l'a annoncé à la télévision. Pour eux, déclarer officiellement à la télévision qu'une organisation est dissoute c'était la notifier à qui de droit. Parce qu'ils pensaient que tout le monde était prêt à accepter la télévision comme instrument de diffusion de l'information. Alors que ce n'est pas ce que dit la loi. Donc nous n'avons jamais considéré que la Fesci a été dissoute. Bien entendu, quand cela arrangeait le gouvernement, il trouvait que la Fesci était dissoute. Mais quand ça les arrangeait il nous laissait fonctionner jusqu'à ce qu'à ce que la grève de 96-97 pousse le président Bédié à fermer définitivement cet épisode.

Avec les résultats catastrophiques, la Fesci est taxée de prendre une part active à cette situation de plus en plus déplorable. Votre avis ?
La Fesci n'a rien avoir avec le niveau académique que nous avons atteint aujourd'hui dans les Lycées et collèges, même à l'université. Cela relève de la compétence du gouvernement. C'est l'incapacité du gouvernement à créer les conditions de formation adéquate aux élèves et aux étudiants qui conduit à ces résultats. En principe, dans un pays civilisé, quand on a des résultats aussi médiocres, je crois que le gouvernement devrait tirer les conclusions afin de voir ce qu'il faut faire. Mais depuis pratiquement 15 ans, les résultats sont catastrophiques et personne n'est ému, tant à l'université, au Bac que dans les autres examens. Le niveau est excessivement bas. Ce qui explique un peu ce qui se passe. Au Cp1, on apprend même des enfants trichent, avec la corruption des maîtres. C'est un problème qui concerne non seulement le gouvernement mais également les populations dans son ensemble.

Doit-on parler de l'échec de la Fesci, étant donné que son objectif principal est d'améliorer les conditions des élèves et des étudiants ?
Non. Je pense que comme on l'a dit, chaque génération à son combat à mener. Aujourd'hui, les dirigeants bénéficient de la complicité du pouvoir. Ils auraient pu mieux faire. A notre époque, nous étions en pleine confrontation avec le pouvoir. Leur capacité de man?uvre est plus importante que la nôtre. Maintenant, s'agissant de leur travail en direction du gouvernement et du pouvoir, en direction des élèves et des étudiants, pour l'amélioration des conditions de travail, le bilan est là. Ce n'est pas du tout reluisant. Il est à la limite très préoccupant.

A un moment de l'histoire de la Fesci, la violence s'est installée au sein de ce syndicat. Est-ce à dire que cela fait partie des stratégies de lutte ?
Non. La violence s'est instaurée à la suite de la popularisation de la coordination. Parce qu'à partir du moment où la coordination est devenue légale et qu'elle est passée à plus de 800 sections allant au delà d'Abidjan, les enjeux changeaient. Il y a les enjeux de pouvoir, il y a les enjeux de gestion d'une manne financière qui est énorme. Cela s'est aggravé avec le fait que la Fesci soit associée à la gestion des ?uvres universitaires. Ce qui fait que celui qui contrôle la direction de mouvement, contrôle une manne excessivement importante. Donc la violence ici a eu pour objectif d'orchestrer une sorte de récupération au forceps, d'une organisation devenue très lucrative. Ce qui est inadmissible si on s'en tient aux objectifs de départ, c'est-à-dire faire en sorte que les étudiants bénéficient de meilleures conditions de travail. On aurait souhaité que la direction du mouvement utilise les fonds qui sont aujourd'hui à sa disposition pour travailler dans le domaine social et académique. Dans l'intermède, il y a eu une implication des hommes politiques. Ce qui a davantage compliqué la situation. Parce qu'ils ont cherché à quelque peu caporaliser cette structure à des fins personnelles. Cela a fait que le mélange des deux situations a rendu la Fesci très toxique et explosive.

Quel jugement portez-vous sur le Secrétaire général qu'a connu cette structure ?
Je ne connais pas la plupart des jeunes qui sont passés après moi. Mais je sais que, particulièrement le camarade Soro Guillaume, après moi a mené un combat très difficile. C'était au temps du général Ouassenan ensuite Dibonan. Il a réussi, par sa ténacité, à gagner ce combat pour marquer l'histoire de cette organisation. Par la suite, il y a eu le jeune frère Blé Goudé, par moment animateur de mes meetings et par la suite, secrétaire à l'organisation des différentes structures, a eu qu'en même une assise au sein de la Fesci et a aussi donné une dimension charismatique à cette organisation. Mis à part ces deux, les autres se sont débrouillés.

Les différents secrétaires généraux dans la vie active, après leur passage à la tête de cette Fédération connaissent des fortunes diverses. Par exemple Guillaume Soro dans la rébellion, Blé Goudé proche du parti au pouvoir Ahipeaud président de parti politique et enseignant Quel commentaire ?
La Fesci est un mouvement de libre pensée. J'ai rencontré des anciens responsables qui sont aujourd'hui Procureurs, Avocats, des journalistes etc. C'est vraiment une école d'apprentissage.

L'On reproche également à la Fesci de s'opposer à l'émergence des autres mouvements syndicaux dans le milieu scolaire et estudiantin ?
Cela n'est pas juste. Parce que si la Fesci faisait aujourd'hui son travail, normalement, elle ne devrait pas s'inquiéter de la naissance d'autres organisations. A cet effet, c'est la direction qui doit se remettre en cause. C'est inadmissible qu'une organisation s'oppose à la liberté d'association au sein de l'Université et au niveau des Lycées et Collèges. Je condamne cela fermement.

Quels conseils avez-vous à donner en tant que doyen, à vos petits frères qui sont aujourd'hui à la barre à la Fesci ?
Au congrès de 2007, j'ai dit aux fescites qu'ils se souviennent de quelque chose. Parce que ceux qui sont leurs militants aujourd'hui seront certainement leurs électeurs demain. Donc il y a une certaine manière de les traiter surtout quand on aspire à solliciter leur suffrage demain. Aussi, ce qui est important, c'est de marquer son temps, en faisant des choses qui sont positives. Et finalement s'inscrire dans la dynamique nationale pour ne pas être perçu comme quelqu'un qui rame à contre courant. C'est-à-dire que les jeunes frères doivent prendre tout cela en compte, en faisant véritablement leur travail de syndicalistes et pour éviter un certain nombre de comportements tel que celui de la violence extrême et inutile que nous dénonçons aujourd'hui.

Après la Fesci vous êtes allé en Europe. Certaines rumeurs couraient que vous y êtes allé parce que certains de vos aînés qui ont été aidés par le Président Houphouët-Boigny n'ont pas apprécié que vous l'ayez affronté. Qu'en est-il exactement ?
J'étais un filleul du président Félix Houphouët Boigny. Depuis 1946, lui et mon père étaient des amis. Quand mon père est décédé en 1977 c'est le président Houphouët qui s'est occupé de nous. J'ai même pris l'argent de la Présidence pour effectuer des missions de la Fesci. Je suis parti en Europe pour 2 raisons. Premièrement, j'avais quitté la direction de la Fesci et j'entendais poursuivre mes études dans un cadre tout à fait serein. Deuxièmement, ayant été identifié par le Général Ouassénan comme le grand manitou derrière la Fesci, il commençait à m'embêter un peu. Il passait tous son temps à me taquiner. Donc je n'ai pas voulu recevoir la fessé comme le ministre Aboudramane Sangaré à travers le phénomène ?'A Fakaya''. J'ai été interpellé plusieurs fois, de façon discrète, par les Forces de Défense et de Sécurité (Fds). J'ai considéré qu'il fallait que je me mette à l'abri pour éviter d'être humilié publiquement. J'ai considéré qu'il y avait un esprit de revanche qui voulait s'abattre sur moi. Je me suis éclipsé tactiquement. Cela m'a permis de mieux me former d'être parfaitement bilingue aujourd'hui. Et d'avoir un pied à l'université ici. En tout cas mon départ, en Europe n'avait rien à avoir avec le parti au pouvoir d'alors.
Interview réalisée par
Benoit Kadjo et Guy Tressia
Relations Sénégal-Côte d'Ivoire
Comment l'huile de palme risque de tout gâcher !
Selon ?'Les Afriques'', il est fort possible que la crise de l'huile de palme qui avait en son temps, provoqué la colère des Ivoiriens resurgisse. En effet, suite au décret du 10 septembre 2009 interdisant la commercialisation de toute huile contenant plus de 30% d'acides gras saturés sur le marché sénégalais, la Côte d'Ivoire avait saisi la CEDEAO et l'UEMOA pour entrave à la libre-circulation à la marchandise . Elle avait d'ailleurs obtenu gain de cause. Ce, grâce au travail abattu par l'ancien ministre de l'Intégration, Amadou Koné, qui avait une parfaite connaissance dit-on du dossier, au désaveu de la Banque mondiale et du soutien de l'Union nationale des commerçants du Sénégal (UNACOIS) qui ont été très déterminants dans ce combat contre la tentation protectionniste du Sénégal. On croyait ainsi la crise terminée entre Dakar et Abidjan, que non ! La guerre des huiles a repris de plus belle entre ces deux pays.

La victoire ivoirienne
Les observateurs ont encore en mémoire que le 4 juin 2010, la commission de l'UEMOA avait invité le Sénégal à retirer la norme dite NS03-072 fixant à 30% la teneur maximale en acides gras saturés de l'huile de palme raffinée. En effet, le comité consultatif de la concurrence de l'UEMOA s'était réuni à Bamako sur la question, et avait donné un avis favorable pour la levée de cette suspension qui frappait la commercialisation de l'huile de palme raffinée ivoirienne au Sénégal. Une décision qui pourtant, avait été prise en vertu des textes de l'UEMOA interdisant toute entrave aux échanges communautaires. Une décision qui avait à cette époque, permis aux producteurs ivoiriens et à leurs autorités de crier victoire. Tout simplement parce que la Côte d'Ivoire produit annuellement 430 000 tonnes d'huile de palme et pouvait donc à nouveau exporter son huile de palme sur le marché Sénégalais. A travers cette mesure c'était l'huile de palme ivoirienne qui était dans le viseur des autorités sénégalaises. Puis qu'elle contient 50% de la teneur maximale en acides gras saturés. Aussi, la bataille que se livraient les deux géants de l'industrie agro-alimentaire de l'espace UEMOA : le Groupe Advens contrôlé par l'homme d'affaires sénégalo libanais Abbas Jaber et le Groupe ivoirien SIFCA dirigé par le Golden Boy, Jean Louis Billon et son associé français Yves Lambelin pour le contrôle du marché de l'ancienne capitale de l'Afrique Occidentale Française (AOF), était-il le principal enjeu. En effet, Advens réalise un chiffre d'affaires de 536 millions de dollars et compte 7000 salariés. Pour sa part, la SIFCA, premier Groupe industriel ivoirien, a investi plus de 100 millions d'euros pour améliorer la productivité dans les exportations et les usines de raffinage d'huile de palme. Il ne cesse d'ailleurs de gagner des parts de marchés en Afrique de l'ouest, notamment au Sénégal où les exportations ont atteint la barre des 38 000 tonnes depuis juin 2008. Or, la production annuelle de SIFCA est passée de 323 000 tonnes en 2007 à 430 000 tonnes d'huile de palme en 2009. Selon les spécialistes, l'approvisionnement du marché de l'UEMOA est encore déficitaire. Il devrait en principe être de 300 000 tonnes à l'horizon 2020, alors qu'il est évalué à 150 000 tonnes.

Le Sénégal contre-attaque et défie la commission de l'UEMOA
Le jeudi 05 août 2010, un conseil des ministres dirigé par le Président Abdoulaye Wade, se réunit à Dakar. Le communiqué qui a sanctionné ce conclave est sans ambiguïté : le gouvernement a pris l'engagement de déposer une double requête auprès de la cour de justice de l'UEMOA. La première pour poursuivre l'annulation de la décision rendue par l'Union. La seconde, aux fins de surseoir à l'exécution de la décision contestée. On sait que c'est cette justice qui avait demandé au Sénégal de retirer sa norme protectionniste . Cette norme qui n'avait pour objet que d'arrêter l'importation d'huile de palme raffinée. La contre-attaque sénégalaise est d'ailleurs perçue comme un coup de tonnerre. Puisque, le principal argument évoqué est d'ordre sanitaire .

Vers une troisième mi-temps !
Si l'UEMOA reconnaît que le dossier est chaud, politique et surtout sensible, donc s'attend à une jurisprudence de sa part pour prévenir d'éventuels conflits à caractère commercial dans cet espace communautaire qualifié d'exemplaire et qui réunit outre la Côte d'Ivoire et le Sénégal, le Togo, le Bénin, la Guinée-Bissau, le Burkina, le Niger et le Mali, les autorités ivoiriennes, elles devront réagir le plus rapidement possible. Le ministère des Affaires étrangères, qui en principe, gère ce dossier, devra aller à ?'l'école'' de Koné Amadou pour décanter la situation. Même si jusque là, les relations entre ces deux pays sont au beau fixe, l'on a peur qu'elles prennent d'autres tournures avec cette reprise de la crise de l'huile rouge.

Jules César
cesaryao32@yahoo.fr

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